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J’avais trouvé ça vraiment osé. Bien sûr, quand ma collègue Léonie, fraîchement arrivée dans l’association en apprentissage, m’a dit qu’elle souhaitait mener un cycle d’ateliers autour de la performance, je n’ai rien dit. C’était une idée fraîche, originale, moderne. Et aussi risquée. Ce n’est pas la discipline artistique la plus simple à aborder, et j’étais admirative de voir quelqu’un oser s’y lancer naturellement, sans se poser de question.

Pour les adultes, c’est un art qui échappe souvent, on ne comprend pas toujours pourquoi certain·es artistes se mettent en danger, ou se mettent si mystérieusement en scène sans nous expliquer pourquoi. On cherche la notice, le cartel qui nous révélera la solution. Quand on ne la trouve pas, on reste avec la désagréable sensation d’avoir loupé quelque chose, ou pire, de ne pas avoir compris ce qu’on tentait de nous dire.

De manière personnelle, la performance m’avait à moi aussi toujours échappé. Je l’avais découvert durant mes études à travers les actionnistes viennois. Quel drôle de choix, quand j’y repense. Il faut avoir le cœur et le corps bien accroché. Je trouvais leurs actions si extrêmes et violentes que je n’arrivais pas à apprécier l’expérience, je butais dessus comme un rubik’s cube incomplet, tentant de rationaliser le propos, en vain. Puis plus tard, j’ai découvert le film documentaire The Artist is Present de Marina Abramovich. Ça a été une révélation. C’était tellement beau, profondément humain. J’ai pleuré devant son travail. Tout était si sensible, si complexe. Le corps est un matériau pour créer, pour permettre de se connecter aux autres.

Léonie a elle aussi remporté le défi haut la main. À travers la découverte de plusieurs performances, les enfants se sont esclaffés, ils ont crié, ils ont été surpris, étonné, charmé, sans retenue. Ils ont tout de suite eu l’air de comprendre pourquoi. Comme si les émotions déclenchées étaient une réponse suffisante. Puis nous avons joué dans l’espace, nous nous sommes mis en scène, nous avons détourné les sens de consignes données, et essayé de reproduire l’in-reproductible : un moment de vie. Je crois que c’était moi la plus convaincue des enfants. Car finalement, la performance, c’est pour eux une évidence : vivre dans l’instant, être attentif aux petites choses qui se passent, rire sans se retenir, réagir sans filtre…
Tout ce que la performance cherche souvent à déclencher, et qui nous bouscule nous, en tant qu’adulte. L’art de la performance questionne des normes et des rapports codés que les enfants n’ont pas encore : marcher dans du beurre pour rigoler, crier dans un micro, mettre des objets sur sa tête…
Rien d’original pour un enfant qui passe son temps à expérimenter avec ce qui l’entoure ! C’est d’ailleurs pour cela qu’ils me fascinent tellement.

Marina Abramović and Ulay, “Relation in Time” (1977), ©Marina Abramović Institute